(Page pécédente)(Page
suivante)(Table des matières)(des
commentaires)
Notation,
typographie et gravure
Avant de parler de logiciels et de normes de description de fichiers pour
la notation musicale, il est nécessaire la situer historiquement
. En effet, le support de la notation et la technologie utilisée
ont influencé la forme voire le fond des documents produits. L'évolution
de la technique d'impression est principalement marquée par quatre
outils dont chacun évoque une période de l'histoire : le
burin (IXeme siècle), le caractère mobile ou le type (XVIIeme
siècle), le poinçon (XVIIeme siècle), et l'informatique
(fin du XXeme ).
Dès la fin du XVIeme , la forme des signes se fixe et se codifie
et ne se modifie plus guère par la suite. Les méthodes de
travail se transmettent sans connaître beaucoup de changements au
cours des siècles et la gravure ne subit aucune révolution
avant la naissance de l'ordinateur.
La calligraphie musicale
Les premiers à avoir noté la musique sont les grecs, il y
a déjà 3000 ans. Leurs systèmes de notation utilisaient
les lettres de l'alphabet, et n'exprimaient que la durée et la hauteur
(approximatives). Depuis, la notation musicale occidentale n'a cessé
d'évoluer, mais la contribution a plus importante fut celle de l'Église
avec les "neumes" (IXeme siècle), petits signes placés
au-dessus du texte et qui servaient à marquer les changements de
hauteur (les "montées" et les "descentes").
Ces signes étaient moins précis que le système grec,
mais étaient assez pratiques pour le chant. A partir du Xeme siècle
les neumes furent progressivement remplacés par des formes plus
ou moins carrées qui ressemblent assez à la notation occidentale
d'aujourd'hui, mais qui n'avaient toujours pas de signification temporelle
exacte . Un auteur anonyme du IXeme siècle a eu l'idée de
placer les syllabes du texte directement entre six lignes horizontales
et parallèles marquant les différentes hauteurs. Mais, et
pour des raisons mystérieuses, les systèmes à plusieurs
lignes de portées ne s'imposeront que 400 ans plus tard. Au Xeme
siècle, les neumes étaient placés sur une ligne unique
qui marquait généralement la hauteur du fa ou du do , et
ensuite le nombre de lignes a augmenté progressivement pour atteindre
4 puis 5 et même 6.
Mais jusque là l'évolution s'est surtout marquée dans
le domaine de la hauteur. Il en est tout à fait autrement dans le
domaine de la durée, et d'ailleurs les historiens et les musicologues
ne sont même pas d'accord sur les premières évolutions
de la notation de la durée. On est quand même certain que
la durée dans le sens absolu n'apparut qu'au XIVeme siècle
avec l'équivalent des rondes, noires, croches etc.
La notation musicale se métamorphosait de siècle en siècle
au Moyen Age, et son évolution n'a été freinée
que par l'invention de l'imprimerie et la diffusion à grande échelle.
Les symboles musicaux seraient probablement différents, si on avait
mis plus de temps à inventer l'imprimerie.
La typographie musicale
Un des tous premiers essais dans l'impression de la musique date de 1457
et est réalisé par le typographe allemand Peter Schöffer
(1425-1502) qui fut l'associé de Gutenberg (1400-1468). Il imprime
un Psalterium Latinum en utilisant des caractères en bois pour les
paroles seulement; les portés et les notes sont ajoutées
à la main, car les signes musicaux typographiques ne sont pas encore
créés. Il faut attendre 1493 pour que le typographe Ottaviano
Petrucci (1466-1539) se serve de caractères mobiles en bois (dont
il sculpte lui-même les signes) pour imprimer son Harmonice musices
odhecaton : il imprime d'abord les lignes de portée puis la notation.
Le parchemin est alors pressé contre les caractères encrés,
à l'aide d'une presse de petite taille. Les notes que l'on nomme
actuellement les rondes sont encore carrées et toutes les autres
ont la forme de losanges noirs ou blancs. Ni les nuances ni les indications
de mouvement n'existent et les barres de mesure ne sont pas encore introduites
de façon systématique. Le principe de l'impression typographique
sera maintenu jusqu'au début du XIXeme siècle, puis abandonné
pour la reproduction des partitions, devant la complexité croissante
des manuscrits (cf. (15) ).
Gravure de la musique
Les premiers graveurs sont allemands et italiens et se servent de burins
pour repousser le métal : il semble que le hasard soit à
l'origine des découvertes faites à Florence en 1450 par Masofinigerra
permettant de reproduire sur parchemin l'empreinte des rayures et des sillons.
La plus ancienne gravure sur planche de cuivre, appelée taille-douce
en France et niello en Italie, datée avec précision, est
un recueil de Madrigaux de 1589 édité à Rome par Simone
Verovio. Elle reproduit la calligraphie manuscrite de l'auteur sur une
plaque de cuivre, comme s'il s'agissait encore d'un dessin travaillé
au burin (cf. (5) ).
Au XVIeme , mais surtout au XVIIeme siècle, la production musicale
(notamment en France) se fait plus importante. Les graveurs codifient leurs
signes et abandonnent le burin qu'ils manient depuis un siècle pour
fabriquer des poinçons dont l'extrémité est gravée
en relief. Utilisant leur nouvel outil comme un percuteur pour entamer
le cuivre ou l'étain, ils travaillent ainsi plus vite car le poinçon
marque son signe de façon immédiate et régulière.
Au cours du XVIIIeme siècle, le graveur frappe davantage de signes
car les partitions s'enrichissent d'ornements, et ne pratique la taille-douce
que pour les liaisons rythmiques et les coulés ou liaisons de phrasé
ainsi que les barres de mesures et les queues de notes. L'impression requiert
toujours la presse et les signes s'embellissent au fil des ans, les clefs
s'amincissent, tandis que des symboles nouveaux comme le double dièse
apparaissent. La grande diversité de poinçons facilite aujourd'hui
le travail du graveur qui frappe tous les signes à l'exception des
liaisons, les portées étant rayées au tire-lignes
(cf. (15) ).
L'impression, depuis la première presse à bras s'améliore
: divers procédés voient le jour dès la fin du XIXeme
siècle : la lithogravure, permettant le report des planches sur
la pierre pour ne point altérer l'original, l'héliogravure
utilisant un cylindre pour imprimer à la chaîne, le système
Diazo, employant l'ammoniaque. Ces nouvelles techniques d'impression et
en particulier l'offset datant du milieu du XXeme siècle facilitent
la reproduction à grande échelle de tous les documents, rendent
plus aisés leurs manipulations et leurs stockages et favorisent
le développement de la similigravure qui substitue la feuille de
calque à la planche de métal. Le copiste, lui, n'utilisera
pas le poinçon mais la plume métallique afin de travailler
plus rapidement et de réaliser les parties séparées
de l'orchestre dont l'effectif depuis Berlioz et surtout depuis le post-romantisme,
atteint des dimensions inconnues jusqu'à lors. Le copiste transcrit
la musique à la plume et à l'encre de Chine dans un geste
qui rappelle de façon lointaine l'enluminure et les miniatures des
artistes du Moyen-Age.
Notation de la musique contemporaine, notation
contemporaine ?
La représentation musicale classique occidentale (CMN), sous forme
de partition, est souvent mal adaptée aux oeuvres contemporaines.
Il n'existe, en effet, pas de notation normalisant l'utilisation des variations
micro-tonales, des glissando complexes, des variations de vitesse des vibrato,
des possibilités d'improvisation, etc. Bien entendu, chaque compositeur
aura son propre système de notation et laissera à l'interprète
la tâche de déchiffrer, puis de l'apprendre (cf. (6)).
L'évolution de la représentation musicale s'est faite selon
deux approches. La première, et la plus "évidente"
a priori, consiste simplement à élargir le dictionnaire des
symboles musicaux de manière cohérente et reconnue, de manière
à intégrer toutes les innovations survenues dans le domaine
de la musique tout en restant dans le cadre d'une partition "classique".
Cette démarche implique une mise à jour constante de la CMN
et une notation d'une complexité et d'une lourdeur croissantes.
La seconde approche est plus ambitieuse : plutôt que de s'encombrer
d'une notation manquant de souplesse, on préfère s'affranchir
de ces contraintes en tentant de créer un nouveau système
de représentation musicale radicalement différent. De telles
tentatives sont nombreuses et toutes ne prétendent pas répondre
à des critères universels. Cependant, on peut dégager
trois points communs : toutes visent à ne plus privilégier
la hauteur et la durée des événements sonores par
rapport aux autres aspects du son; à donner au musicien la possibilité
d'établir des structures hiérarchiques entre les groupes
de notes ou les différentes voix; à ne plus considérer
un morceau comme une suite de notes mais comme un objet global que le compositeur
pourrait manipuler et organiser.
On peut citer comme exemples de tels systèmes Music Structures de
Mira Balaban, qui remplace la représentation musicale classique
par une représentation déclarative proche du Lisp, ou SmOKe
(Smallmusic Object Kernel) de S. T. Pope, qui, plus qu'un système
de représentation musicale, est un ensemble de spécifications
orientées objet indiquant ce qu'un tel système devrait être.
(cf. (13) )
Dans ce rapport on s'est contenté de traiter la notation
"classique", sachant que les différentes tentatives de
notation contemporaine, restent justement de simples tentatives individuelles,
souvent non reconnues.
La méconnaissance de l'informatique : un danger
d'acculturation
Les différentes contraintes mécaniques imposées par
le plomb ont bloqué l'évolution de la notation musicale occidentale
pendant 5 siècles. Elle s'est certes standardisée et organisée,
mais elle n'a pas pu changer et on pense même qu'elle a influencé
l'évolution de la musique (cf. (1)
). Avec l'avènement de l'informatique, elle pourrait de nouveau
reprendre la liberté qu'elle avait du temps des manuscrits. Le support
électronique est évolutif, et la communication informatique
prend une échelle démesurée (il suffit de voir la
vitesse à laquelle se propage une nouvelle police de caractères,
ou une nouvelle application). Pourtant même dans le domaine du texte,
la typographie informatique n'a cherché jusqu'à présent
qu'à imiter, avec plus ou moins de succès, la typographie
"mécanique" ou manuelle, et ne profite donc pas des nouvelles
dimensions mises à sa disposition. L'ordinateur se contente de reprendre
les caractères des machine à presse ou de la photocomposeuse
. Le jugement d'un historien de la typographie textuelle est valable pour
la notation musicale : "La typographie entre les mains des ingénieurs
n'a pas su tirer profit de tout ce que la technologie nouvelle aurait pu
lui apporter de positif" (cf. (3)
). Les signes, que ce soit en musique ou en texte, restent assez proches
de ceux des siècles derniers. En réalité, tandis que
la calligraphie et la typographie étaient considérées
comme des arts, et représentaient à elles seules un formidable
moyen d'expression, l'écriture informatique d'aujourd'hui prétend
être un simple moyen de communication, un outil transparent et neutre
n'ayant pour rôle que de véhiculer fidèlement une certaine
information. Ce déguisement ne change sûrement pas son rôle,
et c'est pour cela que le chemin de simplification, de normalisation que
prend la typographie de nos jours est très dangereux culturellement,
qu'il est nécessaire qu'elle reprenne son rôle, et qu'elle
se soucie de nouveau de la qualité, que ce soit en musique ou en
texte.
(Page pécédente)(Page
suivante)(Table des matières)(des
commentaires)
Nabil Bouzaiene,1995-09-02